Pour ce début d’année, nous laissons la parole à Tristan Hinschberger, étudiant à l’École du Louvre qui réalise une thèse sur le sujet de la parfumerie et les arts décoratifs au début du XXe.
FdD Per Fumum : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la parfumerie ainsi qu’aux arts décoratifs ? et notamment sur cette période du début XXe siècle ?
Tristan Hinschberger : “Je m’intéresse à la parfumerie d’abord par goût personnel parce que j’ai toujours beaucoup aimé le parfum et je suis aussi sensible à son histoire et à l’histoire des odeurs. J’ai également beaucoup apprécié mes cours d’arts décoratifs suivis lors de mon cursus de licence à l’École du Louvre. C’est l’année dernière durant mon master 2, lorsqu’on m’a proposé de travailler sur le Pavillon de la Parfumerie à l’Exposition des arts décoratifs de 1925 à Paris, que j’ai vraiment fait le lien entre les arts décoratifs et la parfumerie. J’ai compris toute cette ambition qu’avait l’exposition de faire de la parfumerie un art à part entière. En élargissant cette question du Pavillon de 1925, je me suis focalisé sur le début du 20ème siècle parce que d’un point de vue économique, social et politique, je trouve que c’est une période particulièrement intéressante avec beaucoup de changements. C’est pour moi une période clé pour le parfum contemporain d’aujourd’hui car il devient artistique et tout le but de ce travail de recherche est de montrer pourquoi et comment le parfum va vraiment devenir un objet artistique au début du 20ème siècle.”
FdD Per Fumum : Quels sont les grands thèmes et les grandes étapes de votre étude ?
TH : “Mon étude commencera par le thème de la naissance de la parfumerie moderne, qu’on associe souvent à Jicky de Guerlain. C’est ce qui me paraît être le bon moment pour débuter mon sujet. Il y a quelques dates clés qui définissent les grandes périodes du sujet. Comme l’arrivée de René Lalique dans le monde de la parfumerie en 1909 avec la ligne scarabée qui a été créée pour Piver et qui d’après certains auteurs, est le début de la parfumerie artistique.
Un autre grand point à aborder est Paul Poiret dans le paysage de la parfumerie. C’est lui qui donnera ses lettres de noblesse à la parfumerie en faisant notamment des partenariats avec des artistes contemporains comme Raoul Dufy ou Marie Vassilieff. Je pense que la figure de Paul Poiret est particulièrement importante pour l’histoire de la mode bien sûr, mais aussi pour l’histoire du parfum et c’est quelque chose dont on ne parle pas assez selon moi. Il ouvre la voie à d’autres couturiers majeurs qui vont eux aussi avoir des partenariats florissants avec d’autres artistes contemporains. Un autre grand point, c’est l’exposition des arts décoratifs de 1925 sur laquelle j’ai travaillé l’année dernière. Pour moi, c’est l’apogée de cette recherche esthétique autour du parfum et de cette nouvelle façon de le présenter. Puis en 1927, il y a un salon de la parfumerie qui va lui aussi reprendre ces nouveaux codes de la parfumerie avec une recherche esthétique tout à fait nouvelle. Je pense arrêter mes recherches en 1937 à l’exposition internationale des arts décoratifs car il semble que ce soit la dernière grande exposition pour la parfumerie avec un pavillon propre dédié à la parfumerie.”
FdD Per Fumum : Comment comptez-vous vous y prendre pour mener vos recherches ?
TH : “Ce travail de recherche passe, tout d’abord, par “débroussaillage général” composé de beaucoup de lecture. Puis, je me rendrai dans les archives nationales de la BnF pour avoir accès à des fonds d’archives de maisons, des documents publicitaires ou documents de presse féminine et presse en général.
Aussi, je me rapprocherai des fonds d’archives de différentes institutions comme le musée des arts décoratifs, le musée de la Parfumerie à Grasse. Et je ferai également des recherches directement dans les maisons de parfumerie de l’époque telles que : Guerlain ou d’Orsay.”
FdD Per Fumum : Pourquoi choisir deux expositions universelles (celles de 1889 et 1900) et une exposition internationale des arts décoratifs (celle de 1925) comme exemples ou sources de travail ?
TH : “Pour moi, c’est dans les expositions universelles que la parfumerie française se regroupe et s’institutionnalise. C’est un moment où elle se montre à la face du monde, où elle montre ses avancées esthétiques, scientifiques et chimiques. Elle essaie de concurrencer d’autres nations dans un contexte politique et social particulièrement intense et orageux entre la fin du 19e et le milieu du 20e siècle. Aussi, je pense que ces 3 expositions-là sont particulièrement importantes car elles montrent l’évolution du goût en matière d’art décoratif en l’espace d’un peu moins de 35 ans.
En effet, on retrouve cette évolution du goût sur les études, sur les flacons, sur les stands de maisons qui sont présentes sur l’exposition de 1889. Cette année est marquée par la naissance de Jicky. 1900 est la première année où on voit un stand de parfumerie dont le design est fait par un artiste qui n’est pas lié à la parfumerie. C’est Hector Guimard pour le stand Millot. 1925, comme je l’ai dit précédemment, c’est selon moi l’apogée d’une recherche esthétique autour du parfum de ce pavillon de la parfumerie. Il sera l’un des plus visités de l’exposition et l’un des plus réussis. Donc ces 3 dates me semblent particulièrement importantes pour comprendre l’évolution du goût et l’évolution du parfum en tant qu’art décoratif.”
FdD Per Fumum : Quels résultats espérez-vous de cette étude ?
TH : “J’espère pouvoir montrer que l’étude du parfum est importante parce que c’est aussi une étude du goût, une étude artistique en soi qui convoque beaucoup d’autres médiums, comme la publicité, la gravure ou le cartonnage. Je pense que l’étude du parfum, mais pas seulement, est une étude qui mérite d’être aussi importante que l’étude de la mode par exemple. Aussi je souhaite montrer pourquoi le parfum peut être considéré au début du 20e comme un art décoratif à part entière et expliquer pourquoi il est toujours aujourd’hui considéré comme un art décoratif. “