Le projet CLIO est une étude interdisciplinaire menée en collaboration avec le CNRS. Son objectif est de comprendre comment les facteurs génétiques, physiologiques et sociaux contribuent à la construction du plaisir olfactif, afin de proposer une vision plus complète de la manière dont nous percevons et apprécions les odeurs.
Fonds de Dotation Per Fumum : Pourriez-vous vous présenter et nous expliquer votre rôle dans le projet CLIO ?
Marylou Mantel : “Je suis actuellement maîtresse de conférences en neurosciences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, au sein du laboratoire Cognition, Santé, Société (C2S). Je participe au projet CLIO depuis le début : j’ai d’abord été impliquée en tant que chercheuse postdoctorale dans la première phase, puis comme collaboratrice dans la phase 2, et je suis désormais coordinatrice sur le site de Reims pour la phase 3. Mon rôle a ainsi évolué, de la collecte et l’analyse des données, à la réflexion sur le protocole de l’étude et les objectifs du projet.”
FdD Per Fumum : Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste le troisième volet de l’étude ?
M.M. : “Bien sûr. Mais pour répondre, je vais d’abord vous rappeler brièvement les deux premiers volets. Dans le premier volet, nous avons étudié les différents facteurs qui peuvent influencer le plaisir olfactif. Il s’agit de facteurs génétiques, biologiques, psychologiques, et sociaux. Ce premier volet s’intéressait spécifiquement à l’aspect génétique pour comprendre si des différences dans le patrimoine génétique pouvaient influencer la perception hédonique de certaines odeurs, notamment de certains parfums.
Le deuxième volet se concentrait davantage sur l’activité cérébrale, en y intégrant toujours la dimension génétique, pour explorer la manière dont l’activité cérébrale intervient dans cette perception hédonique. Nous avons donc observé, dans ce volet, les réponses neurales face aux odeurs.
Dans le troisième volet, que nous abordons maintenant, nous intégrons l’influence des facteurs sociaux. Par exemple, comment la perception des autres, leur retour sur une odeur ou un parfum, peuvent influer sur notre propre perception et notre ressenti hédonique de cette odeur. Il s’agit donc d’une approche progressive pour intégrer tous les facteurs qui contribuent au plaisir olfactif.”
FdD Per Fumum : Quels sont les principaux résultats qui ont mené à cet intérêt pour l’aspect social dans le troisième volet ?
M.M : “Pour le premier volet, nous avons mené une étude sur environ cent participants, et nous allons en inclure davantage pour affiner les résultats. Nous nous sommes concentrés sur une molécule particulière, la bêta-ionone, dont la sensibilité varie selon le patrimoine génétique des individus. Nous avons observé que les personnes qui sont très sensibles à cette molécule, c’est-à-dire qui la détectent facilement et intensément, préfèrent des parfums qui en contiennent moins. En revanche, celles qui y sont moins sensibles, et nécessitent une concentration élevée pour la percevoir, préfèrent des parfums qui en contiennent davantage. Cela confirme que la génétique joue un rôle dans la préférence hédonique pour certains parfums.
Les analyses sont en cours pour la seconde étude, mais nous avons déjà des indications montrant que la réponse cérébrale aux odeurs varie également en fonction du patrimoine génétique. Ainsi, les mêmes parfums ne provoquent pas les mêmes réponses cérébrales chez les participants en fonction de leurs variations génétiques.
Cela nous a donc menés au troisième volet : en comprenant que les préférences peuvent être influencées par la génétique, nous ajoutons un facteur social. L’idée est de voir comment les préférences exprimées par les autres peuvent influencer notre propre choix, en particulier si l’on sait que d’autres préfèrent tel ou tel parfum.”
FdD Per Fumum : Comment combinez-vous les différentes disciplines (génétique, neurosciences, anthropologie et sciences sociales) dans cette étude ?
M.M : “J’ajouterais même la psychologie, qui fait aussi partie de ce projet. Nous combinons les disciplines de différentes façons. Les principaux collaborateurs du projet – Mustapha Ben Safi, Denis Pierron et moi-même – avons chacun une expertise propre. Denis Pierron apporte son expertise en génétique et en anthropologie ; Moustafa Bensafi, en neurosciences et en psychologie ; et moi-même, en neurosciences, psychologie et aspects sociaux, avec le laboratoire de Reims qui est spécialisé en psychologie sociale. Pour la troisième phase, nous allons également recruter un expert en psychologie sociale.
Cette complémentarité nous permet d’appliquer une variété de méthodes et d’approches théoriques pour aborder la perception olfactive de plusieurs angles. L’interdisciplinarité est donc au cœur du projet, et c’est ce qui en fait une étude particulièrement riche et complète sur le plaisir olfactif.”
FdD Per Fumum : Quelles seraient les applications concrètes de vos découvertes pour l’industrie du parfum ou d’autres secteurs liés à l’olfaction ?
M.M : “Cette étude s’inscrit dans un domaine large : celui des différences individuelles dans la perception olfactive. Dans le secteur du parfum, de la cosmétique, mais aussi de l’agroalimentaire, ces différences jouent un rôle crucial dans les préférences des consommateurs. Beaucoup d’études se sont déjà intéressées aux éléments externes, comme le packaging ou le contexte social. Cependant, peu de recherches se sont penchées sur l’influence génétique dans la perception des odeurs, surtout dans le domaine des parfums. Nos résultats pourraient ainsi aider les professionnels à mieux comprendre les préférences des consommateurs, notamment par rapport aux facteurs internes qui influencent leurs choix.”
FdD Per Fumum : Enfin, quelles sont les perspectives pour la suite du projet CLIO, après cette dernière phase ?M.M :“Après cette phase, nous continuerons à explorer la perception hédonique et les aspects sociaux des odeurs. Nous aimerions approfondir le lien entre génétique et perception des odeurs, ainsi que les aspects sociaux, comme la perception des odeurs corporelles, par exemple, ou des parfums et des déodorants. Comment ces perceptions influencent nos interactions sociales ? C’est une question qui me paraît essentielle, et sur laquelle nous allons travailler dans nos disciplines respectives pour aller encore plus loin dans la compréhension de l’influence des odeurs sur nos comportements et nos interactions.”