Ce projet vise à explorer les liens entre l’olfaction et la conscience en utilisant la stimulation olfactive pour sonder l’état des patients neurologiquement lésés. La méthode, couplant neurosciences et modèles génératifs, pourrait transformer la prise en charge médicale et le diagnostic, avec des répercussions possibles sur des maladies comme la maladie de Parkinson.
Fonds de Dotation Per Fumum : Quels sont les objectifs principaux de votre projet de stimulation olfactive des patients dans le coma ?
Pierre-Marie Lledo : “Très simplement, nous cherchons à tirer parti d’une particularité de l’organisation des sens chez l’humain : l’olfaction est directement reliée aux structures limbiques, qui déclenchent des réponses échappant à la volonté et à la conscience. Contrairement à d’autres modalités sensorielles qui passent par une « garde de triage », le thalamus, l’odorat accède directement aux structures émotionnelles. Par exemple, avant même de reconnaître un vin, on sait instinctivement si on l’aime ou non. C’est cette spécificité qui nous a poussé à explorer l’olfaction, en complément de l’audition, afin d’analyser la réactivité cérébrale des patients à travers des voies sensorielles différentes.“
Jean-Baptiste Masson : “En tant que physicien, nous cherchons à exploiter cette spécificité pour perturber les patients au sens scientifique du terme, c’est-à-dire générer un signal mesurable et naturel qui modifie les caractéristiques cérébrales des patients. À travers ces perturbations, nous espérons récupérer des informations précieuses sur leur état cérébral grâce à des électroencéphalogrammes (EEG).“
FdD Per Fumum : Comment l’utilisation de la stimulation olfactive peut-elle aider à sonder l’état de conscience des personnes cérébro-lésées ?
P.M.L. : “Nous associons l’exposition à des odeurs aux mesures EEG pour observer la réactivité des patients, notamment ceux ventilés artificiellement. En mesurant la dynamique cérébrale avant et après exposition aux odeurs, nous espérons déterminer si un patient est sur une trajectoire de récupération. Ce suivi continu nous permettra de comprendre quelles variations signalent un potentiel de réhabilitation.“
J.B.M. : “Nous utilisons un protocole intégrant des données extérieures et cliniques pour identifier les signatures indiquant des trajectoires probables. L’objectif est de travailler de manière probabiliste pour évaluer si un individu suit une direction favorable ou non dans son rétablissement.“
FdD Per Fumum : Quels sont les principaux défis rencontrés dans l’intégration des modèles génératifs d’apprentissage machine avec les mesures d’électroencéphalographie ?
J.B.M. : “Les modèles génératifs, comme ceux inspirés par les grands modèles de langage, nécessitent des quantités phénoménales de données. Bien que nous disposions de nombreuses données, elles restent limitées en comparaison des corpus textuels. Notre défi est donc de développer des modèles adaptés, à la fois réalistes mathématiquement et validés cliniquement. Le réalisme mathématique garantit des propriétés cohérentes, tandis que la validation médicale assure que les signaux générés sont exploitables.“
FdD Per Fumum : Quels impacts espérez-vous que ce projet aura sur la recherche médicale et les décisions thérapeutiques pour les patients atteints de lésions cérébrales graves ?
J.B.M. : “Notre objectif initial est de fournir aux médecins des outils pour enrichir leurs décisions. Ces outils ne remplaceront jamais leur expertise mais apporteront des éléments supplémentaires, comme des indicateurs de trajectoires basés sur des données quantitatives. Sur le long terme, nous espérons créer une nouvelle connaissance médicale permettant de mieux comprendre et prédire les réponses des patients à divers traitements.”
P.M.L. : “En analysant les trajectoires des patients, nous voulons dépasser une vision binaire (réveil ou non) pour identifier des profils spécifiques, comme les répondeurs à certains traitements. Ce travail pourrait révolutionner la manière dont nous abordons les diagnostics et les thérapies.”
FdD Per Fumum : Pouvez-vous nous partager les premiers résultats ou observations préliminaires de votre étude menée sur les 500 patients ?
P.M.L. : “Nous n’avons pas encore commencé à analyser les données. Les prétraitements sont en cours, mais nous préférons attendre avant de commenter.”
FdD Per Fumum : Quelles seront les prochaines étapes de votre recherche et quelles collaborations envisagez-vous pour avancer dans ce domaine ?
P.M.L. : “Les étapes clés que nous venons d’accomplir incluent le recrutement de candidats adaptés. Du côté clinique, le chef de service en réanimation du GHU Sainte-Anne rejoint le laboratoire pour sa thèse, et une autre personne en thèse se concentrera sur l’analyse mathématique des signaux. Nous avons aussi obtenu tous les feux verts administratifs, y compris celui du comité d’éthique.”
J.B.M. : “Côté mathématique, nous travaillons avec un étudiant talentueux qui rejoindra le projet après son master à l’UCL, à Londres. Il développera des méthodes pour encoder les signaux en utilisant des données existantes et artificielles. Sur le plan clinique, nos données proviennent exclusivement de l’hôpital Sainte-Anne, où nous avons mis en place une infrastructure conforme et sécurisée. Cela a nécessité un travail en amont pour garantir la confiance des équipes médicales et administratives.”